Mort de Joyce Echaquan

« Je ne veux pas que sa mort soit inutile »

« Je suis ici aujourd’hui pour réclamer justice, je suis ici pour ma femme, Joyce Echaquan, pour ses sept enfants qui ne la verront plus jamais, car ce sont eux les plus grands perdants dans ça. »

Carol Dubé, qui s’adressait au public pour la première fois depuis le drame qui a emporté sa femme, Joyce Echaquan, victime de négligence et d’un traitement raciste à l’hôpital de Joliette, peinait à maîtriser ses émotions.

« Je ne veux pas que sa mort soit inutile. Combien de vies humaines faudra-t-il encore pour qu’on reconnaisse qu’il existe du racisme systémique envers nous, la nation autochtone ? », a demandé M. Dubé, dont les propos étaient entrecoupés de longs sanglots.

« L’objectif est bien sûr d’obtenir justice pour Joyce, mais aussi de s’assurer que ce qui est arrivé ici n’arrive plus jamais. On le fait en pensant à tous les autochtones, surtout les femmes, qui sont victimes de racisme dans les hôpitaux québécois. »

Carol Dubé ainsi que l’avocat de Québec MJean-François Bertrand et le chef de la communauté atikamekw de Manawan, Paul-Émile Ottawa, qui l’accompagnaient dans cette conférence de presse au Centre d’amitié autochtone de Lanaudière, à Joliette, ont clairement exprimé leur volonté de ramener sur la place publique l’enjeu du racisme systémique.

« Je demande au premier ministre de reconnaître l’existence du racisme systémique, ici, au Québec, qui existe depuis trop longtemps », a lancé MJean-François Bertrand.

« Ça fait trop longtemps qu’on est témoin d’atrocités concernant les membres des Premières Nations, qui plus souvent qu’autrement [sont passées] sous silence et ne sont pas punies parce qu’il n’y a pas de vidéo. »

— MJean-François Bertrand, avocat de la famille

L’avocat, qui prévoit agir sur plusieurs fronts, a prévenu qu’il allait frapper fort : un recours en dommages et intérêts contre l’hôpital de Joliette et tous les employés qui ont été impliqués dans les évènements, une réclamation au programme d’Indemnisation des victimes des actes criminels (IVAC), une plainte à la Commission des droits de la personne pour le traitement raciste et discriminatoire dont Mme Echaquan a fait l’objet, une plainte à l’Ordre des infirmières pour que l’infirmière qu’on entend sur la vidéo soit non seulement congédiée, mais aussi radiée à vie, une plainte à la Sûreté du Québec, et une demande d’une enquête publique sur le traitement réservé aux membres de la communauté atikamekw à l’hôpital de Joliette.

Les intervenants ont insisté sur la responsabilité du Centre hospitalier de Lanaudière. « Je suis convaincu que ma conjointe est décédée parce que le racisme systémique a contaminé l’hôpital de Joliette et il a tué ma conjointe », a affirmé Carol Dubé, la voix brisée par l’émotion. « C’est quoi, le problème avec l’hôpital de Joliette ? Qu’est-ce qui se passe depuis des années ? », a demandé MBertrand.

« Il y a beaucoup de choses choquantes et injustifiables dans ce drame. Il y a bien sûr les paroles prononcées et la mort inexplicable de Joyce. Mais ce qui me choque encore plus, c’est qu’on aurait pu éviter ce drame », a enchaîné le chef Ottawa. Il y a eu plusieurs appels à l’action de la commission Viens concernant les problématiques que l’on vit à l’hôpital de Joliette. Si on les avait mises en œuvre, on aurait probablement évité la mort de Joyce. »

Le chef de la communauté de Manawan a ajouté un message à l’intention du maire de Joliette, Alain Beaudry : « Le fait de nier que le racisme existe à Joliette fait certainement partie du problème. »

« Je me suis offert en sacrifice »

Le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec-Labrador (APNQL), Ghislain Picard, est revenu sur sa décision d’annuler un peu plus tôt vendredi sa rencontre convoquée à Montréal par le premier ministre François Legault. Il a expliqué qu’il voyait mal « l’utilité de se présenter à cet entretien » s’il n’obtenait pas la garantie qu’une rencontre serait aussi organisée rapidement avec les leaders atikamekw.

« Je me suis offert en sacrifice, a-t-il expliqué, en entrevue téléphonique avec La Presse, vendredi. S’il y a une urgence pour les chefs atikamekw de rencontrer le premier ministre, j’ai dit que je suis prêt à céder ma place. On peut faire la rencontre à un autre moment. C’est cette possibilité qui a été rejetée, a-t-il précisé. Le message a été clairement donné à quelqu’un de l’entourage de M. Legault. Si ça ne lui est pas parvenu, ça ne m’appartient plus. »

François Legault n’a visiblement pas apprécié le fait que le chef Picard annule à la dernière minute la rencontre prévue au sommet entre les deux leaders.

« Encore une fois, je ne comprends pas à quoi joue le chef Picard, a-t-il lancé lors de son point de presse, à Montréal, plut tôt dans la journée. J’ai de la difficulté à suivre le chef Picard, ça fait deux fois qu’il fait ça en très peu de temps. Il devait, il y a quelques semaines, rencontrer Sonia LeBel et Sylvie D’Amours, et il a annulé. Ce matin, il devait me rencontrer et à la dernière minute, il a annulé. »

« Ce qu’il nous dit, c’est qu’il nous aurait demandé d’avoir avec lui les chefs atikamekw. J’ai vérifié dans mon entourage, jamais on n’a eu cette demande-là, a ajouté le premier ministre. J’ai même hier parlé avec le chef de Manawan, Paul-Émile Ottawa, et je lui ai dit qu’on allait organiser une rencontre la semaine prochaine. Il m’a dit qu’il était satisfait de ça, donc, je ne comprends vraiment pas où s’en va le chef Picard, pourquoi il fait ça. »

Le premier ministre a aussi évoqué les règles sanitaires limitant à trois le nombre d’invités à la fois qu’il peut rencontrer.

La rencontre prévue vendredi matin devait initialement avoir lieu la semaine prochaine. L’APNQL et M. Legault devaient alors faire le point sur la nouvelle mouture du projet de loi 66 sur la relance économique dans le contexte de la pandémie. Les chefs autochtones déplorent ne pas avoir été consultés dans le processus.

La co-porte-parole de Québec solidaire, Manon Massé, a indiqué qu’elle « peut comprendre Ghislain Picard » de douter des intentions du gouvernement Legault. « Il faut dire que les actions de la CAQ dans les dernières années sur les enjeux autochtones sont plutôt minimes et souvent cosmétiques », a-t-elle déclaré. Pour le député libéral, Gregory Kelley, le refus de M. Picard de rencontrer M. Legault lance le signal que « les motions, des rencontres… ce n’est pas suffisant » et que « ça prend des résultats et des actions concrètes », a-t-il affirmé.

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